Luxe et jouissance selon Jean-Jacques Rousseau
- Littérature
- Mode
« La mode étouffe le goût ; et l’on ne cherche plus ce qui plaît, mais ce qui distingue» (Rousseau, Emile, IV).
A partir de l’analyse d’une scène de repas dispendieux dans l’Emile (1762), Olivier Assouly, directeur de la recherche à l’IFM, analyse les positions de Rousseau dans les débats autour du luxe au XVIIIe siècle. Pour jouir, il faut savoir goûter. Or, pour Rousseau, on se laisse souvent tromper par l’étiquette et l’apparence au lieu d’apprendre à apprécier réellement ce qui mérite de l’être (qu’il s’agisse de gastronomie, de mode ou de luxe).
Pour Rousseau, le luxe est pourvoyeur d’inégalités et d’injustices, la sophistication et le décorum sont des obstacles à la jouissance des choses. L’ « empire des modes » s’oppose au fonctionnement efficace du goût. Dans la mode, on finit par être livré à l’opinion des autres, à l’opposé de ce que Rousseau appelle la volupté, autrement dit la vraie jouissance des choses. Rousseau oppose le « luxe de vanité » (conventionnel/factice) au « luxe de mollesse » (voluptueux/ paisible). L’actualité de Rousseau est évidente : un des fantasmes du luxe, toujours aujourd’hui, consiste à vouloir se procurer plus que ce dont on peut effectivement jouir. Or ce qui permet la jouissance, c’est le silence et l’absence de décorum. « Malheur à qui n’a rien à désirer ! », dit Rousseau.
Rousseau ne condamne pas le luxe mais se prononce en faveur d’une raréfaction volontaire de la jouissance. Il faut selon lui générer du désir pour enrichir la jouissance, mettre l’objet du désir à distance, s’interdire momentanément de consommer. « Sois voluptueux, et non pas vain. Apprends à flatter tes sens, riche bête, prends du goût et tu jouiras » (Rousseau).